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Non, écrire en français ce n'est pas «bas brun».

  • Photo du rédacteur: Linéa
    Linéa
  • 17 avr.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 13 heures

Par Christine Paré

La rédaction stratégique, c’est oser la couleur sans perdre la clarté, même quand le franglais semble plus facile.

Photo par: Stockcake


Mais c’est peut-être un peu paresseux de dire que le franglais «reflète mieux notre vibe».


Dans le milieu des communications, les anglicismes ne sont plus des intrus. Ils font partie du décor. On ne les glisse plus ici et là par commodité: on construit les phrases autour d’eux. On les utilise sans guillemets. On les revendique comme une marque de modernité, d’efficacité, d’identité.


Au Québec, cette bascule est devenue presque banale. On insère des mood, des insights, des deep dive, des no brainer, des learnings, des recaps, des game changers, parce que soi-disant, «y’a pas de mot en français qui exprime ça pareil».


Mais est-ce que cette tendance rend vraiment nos messages plus percutants? Ou est-ce qu’elle traduit une fatigue? Un désintérêt? Une perte d’attention collective pour nommer, préciser, choisir?


Et si, à force de trouver ça «pas si grave», on contribuait à quelque chose de plus profond et de plus silencieux?


Quand on perd les mots, on finit par perdre les idées.


Le vocabulaire n’est pas une coquille. C’est une architecture.


Et quand on remplace systématiquement les éléments clés d’une langue par des emprunts, on affaiblit sa capacité à exprimer des nuances. On banalise les glissements. Et on rend invisible ce qui se joue en arrière-plan: un recul tranquille, mais bien réel.


Ce n’est pas un drame culturel. Ce n’est pas une révolte non plus. C’est juste… une perte de précision. Une dilution. Et parfois, une démission déguisée.


Le «ressenti en anglais»: un symptôme, pas une excuse


C’est l’argument qu’on entend souvent: «J’ai pensé ça en anglais, alors je l’ai écrit comme ça.»


Mais penser dans une langue, ce n’est pas neutre. Et ce n’est pas immuable non plus. Si ton réflexe est en anglais, peut-être que ton environnement t’y pousse. Peut-être que tu lis, travailles, échanges en anglais la moitié du temps. Ce n’est pas honteux.


Mais ce n’est pas non plus un prétexte pour abandonner les ressources de ta propre langue. Tu peux penser dans une langue et décider d’écrire dans une autre. Et dans bien des cas, c’est même un acte de rigueur intellectuelle. D’attention. D’hospitalité.


Le français ne recule pas d’un coup.


Il recule à petits pas. Pas par effondrement spectaculaire. Par glissement. Un peu comme l’érosion des sols. Comme la perte de biodiversité. Comme l’appauvrissement du débat démocratique.


Ce ne sont pas les grandes crises qui font le plus de ravages. Ce sont les petits abandons qu’on accepte, un à un, sous prétexte que «ce n’est pas si grave».


Et pourtant, les chiffres sont là:

  • Depuis 1997, la part des Québécois utilisant principalement le français au travail a chuté de 11%.

  • À Montréal, moins de 51% des résidents parlent principalement français à la maison.

  • Dans plusieurs secteurs économiques, l’usage professionnel du français a diminué de 10 à 15 points depuis le début des années 2000.


Ces chiffres ne racontent pas un effondrement. Ils racontent une érosion. Un lent désengagement. Un glissement mot par mot.


Quand l’effort devient suspect


Ce qui est peut-être le plus insidieux, c’est quand faire l’effort devient une faute de goût.

 

Quand on se moque gentiment de celui ou celle qui cherche le mot juste. Quand on traite de «bas-brun» quelqu’un qui veut simplement écrire avec rigueur. Quand on juge «trop scolaire» une tournure précise, ou «pas assez cool» une phrase bien construite.


Ce regard moqueur — même involontaire — finit par dissuader. Par refroidir. Par faire taire. Et c’est aussi une perte. Une perte d’élan, de finesse, de courage partagé.


Et ce n’est pas la diversité qu’on célèbre, c’est la résignation qu’on habille de désinvolture. On s’excuse presque de faire l’effort. On dit: «Je sais que c’est quétaine, mais je vais dire bilan au lieu de recap.» Comme si choisir un mot juste était une marque de snobisme. Comme si c’était mal de vouloir parler avec soin.


L’anglicisme n’ajoute pas toujours: il remplace.


On dit que le franglais ne menace rien. Qu’une langue, c’est vivant. Que ce n’est pas avec quelques anglicismes qu’on va tuer le français. Peut-être. Mais ce n’est pas comme ça que ça se passe.


Ce qui érode une langue, ce n’est pas un mot ici et là. C’est le moment où on arrête de chercher. Le moment où on accepte de ne pas nommer. Le moment où «le mot en français» est vu comme un handicap.


Ce n’est pas une bataille contre les anglicismes.


Personne ne propose de parler comme dans Les Belles-Sœurs ou de traduire marketing par mercatique. Ce n’est pas une question d’épuration. C’est une question d’attention.


Parce qu’écrire en français, ce n’est pas se priver. C’est explorer. Raffiner. Choisir. Ce n’est pas une nostalgie. C’est une compétence. Et à une époque où tout le monde copy-paste la même chose, maîtriser sa langue devient un avantage concurrentiel. Pas une lubie de vieux prof.


En résumé: on peut faire mieux.


Tu as le droit de dire lead, content, pitch, twist, storytelling.


Mais tu as aussi le droit — et la capacité — de chercher mieux. D’écrire autrement. De creuser un peu.


Pas par militantisme. Par professionnalisme. Et peut-être même… par fierté tranquille.

Et si on essayait de traiter notre propre langue comme un outil de prestige, pas juste comme un point de départ?




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